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mercredi 26 décembre 2018

Le vélo a changé ma vie - Chapitre 6

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Chapitre 6
Assumer ses limites et rouler pour l'équipe

Ne pas être le meilleur de mon équipe ne me dérangeait pas du tout. Faire partie de la meilleure équipe Maître du Québec, porter le même maillot que mes coéquipiers, partager leur motel, parce que nous nous mettions à plusieurs par chambre pour sauver de l’argent, me satisfaisait amplement. En direction vers une course en voiture ou le soir après une première étape, j’assistais souvent aux échanges entre Alain, Gaétan, Jean et Claude sur ce qui s’était passé dans la journée et qu’est-ce qu’on pouvait faire de mieux la journée suivante pour changer la dynamique de la course ou pour permettre à l’un ou l’autre de nous de gagner la course ou de gagner des rangs dans le cumulatif de la fin de semaine. Comme j’étais toujours un peu plus à l’arrière des autres, je pouvais voir si ce que les gars avaient prévu se produisait et s’ils avaient oui ou non bien réagi de la façon qu’ils avaient convenu de faire. À la longue, et avec le temps, il m’arrivait de mieux interpréter qu’eux ce qui s’était passé, de sorte qu’avec le temps je me suis impliqué un peu plus dans les stratégies. C’est à ce moment au début de ma 3e  année de compétition que j’ai compris quelle place je pouvais occuper et le travail qui s’y rattachait pour donner un coup de mains à mes coéquipiers. Je ne gagnais pas de course. Je ne constituais pas une menace pour les meneurs. J’ai fini par comprendre qu’à défaut de gagner des courses, que je pouvais me battre pareil, faire ma place et la garder. Je suis devenu un domestique, un plombier comme on dit au hockey. Je n’étais plus le petit nouveau. J’avais fait mes preuves. Quand on intervient dans une course pour permettre à ton coéquipier de gagner un championnat, çà se placote autour. J’ai fini par faire partie des vétérans. Les meilleurs et les vieux de la veille venaient me voir maintenant après les courses et s’informaient comment cela s’était passé pour moi aujourd’hui. On ne m’a jamais sacré après pour une erreur de pilotage, même que sur certains circuits on me gardait à l’œil. J’avais la réputation de me frayer un chemin vers en haut assez vite. On me gardait à l’œil. Il se pouvait qu’en certaines circonstances, que je ne puisse rien faire pour mes gars, mais en d’autres, ma contribution fût toujours très appréciée. Cela ne pouvait quand même pas marcher à tout coup. Mais j’avais appris de Jean Garon mon coach, qu’il fallait essayer, provoquer des affaires.  Puis, pourquoi ne pas feinter quelque chose?

Si Alain, mon leader, tentait ou prévoyait une échappée à un moment donné, il m’en avait glissé un mot avant la course pour que je remonte en haut dans le bon moment et lorsque la chasse s’organisait contre lui, je tentais du mieux que je pouvais de m’installer devant les meneurs, question de nuire à leur rythme. De toute façon, toute l’énergie que cela me demandait pour remonter en haut de la sorte à quelques reprises ne me permettait d’y rester que quelques minutes, le temps qu’on s’aperçoive de mon petit manège et que d’autres prennent le lead rapidement pour m’écarter. Si je pouvais faire ce blocage à une couple de reprises avec des gars d’équipe adverses qui pouvaient y trouver leur compte aussi, cela pouvait permettre à Alain ou à Gaétan de prendre le large. De plus, comme Alain et Gaétan étaient souvent surveillés par des gars qui leur collaient au cul, il m’arrivait de m’infiltrer de force en arrière d’eux pour en tasser une couple. Comme mes chums me voyaient venir, ils s’arrangeaient pour placer une petite accélération le moment que je m’immisce entre eux et leurs adversaires. Bien mal venu celui qui voulait prendre ma place. Je sortais les coudes et je n’hésitais pas à faire contact, voire à pousser volontairement si cela devenait nécessaire. « Hey man dégage, c’est moé qui est icitt » Je me faisais crier après, mais je m’en câlissais, cela faisait partie de la game.

Alain et Gaétan avaient chacun leur style de coureurs, ce qui m’amenait à les conseiller différemment, bien quand ils me demandaient mon opinion. Alain était un gars tellement fier, qu’il demeurait souvent trop longtemps à tirer en avant du peloton, de sorte qu’il avait souvent brûlé trop des cartouches avant le sprint final, une de ses spécialités pourtant. Or, combien de fois lui ai-je conseillé de faire attention à cela, qu’un tel ou tel autre était toujours dans son cul et ne faisait qu’attendre le fil d’arrivée pour le sauter. Mais que voulez-vous? Un pur- sang est un pur-sang. Il me regardait les yeux un peu sceptiques, surpris et me disait…
« Stu vrai Bob? »
« Bin oui Calvaire Staffair! »
« Oui mais je voulais faire ceci, cela, je pensais que cela était pour marcher… En tout cas, la prochaine fois, je ne me ferai pas avoir, Christ Bob!»
Gaétan lui, de peur de mettre en danger sa saison de ski de fond par une mauvaise chute, évitait les sprints de masse. Cela ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas gagner de courses. Il les gagnait juste autrement. J’avais été témoin tellement de fois de mauvaises fins de courses par mes gars qu’en dernier, j’en étais rendu à leur suggérer ce qu’ils devaient faire le lendemain selon le parcours qui nous attendait. Pour Alain, c’était de s’épargner un peu plus, quitte à ce que Gaétan mène à l’avant à un rythme tellement élevé, qu’Alain pouvait sauter tout le monde en sortant de l’arrière si sa sortie était bien calculée. Et pour Gaétan, ce grand 6 pieds 2 pouces 175 lb, champion canadien de ski de fond, avec un cardio effroyable, pouvait sortir par surprise au moment que le monde ne s’y attendait pas le moins du monde, plusieurs kilomètres avant l’arrivée pour s’élancer sur un contre-la-montre que personne ne pouvait suivre à moins qu’un cycliste eut été capable de sauter dans sa roue, et encore. Le peloton devait travailler si fort pour revenir sur lui, qu’Alain pouvait contre-attaquer immédiatement la jonction faite. Soit que Gaétan rentrait victorieux en solitaire, revienne dans le pack ou qu’Alain en remette pour rentrer sur un sprint plus long que d’habitude, ce qui était excellent pour lui contre les sprinters courtes distances.

2 anecdotes me reviennent souvent en tête lorsque je reviens dans le passé pour illustrer des situations de course que j’avais provoquées pour mes gars. Une bonne et une plus mauvaise.

Commençons par la mauvaise. Nous courrions une provinciale à Acton Vale en Montérégie. Rien ne s’était passé lors de cette course. Plusieurs tentatives sans succès par personne. Nous approchions à vive allure la fin de la course. Parfois, il m’arrivait d’analyser les fins de parcours la veille, surtout quand ceux-ci finissaient un peu plus Rock & Roll comme c’était le cas lors de cette journée-là. Il fallait effectuer un virage en « S » à 90 degrés à 500 mètres et traverser une voie ferrée à sa sortie juste après à 250 mètres de l’arrivée. Dans ma tête, je savais que les sprinters attendraient que ces difficultés soient passées avant de déclarer les hostilités dans le dernier 200 mètres. C’était trop dangereux de rentrer en gang à tombeau ouvert dans ces deux virages avec la voie ferrée pour finir. J’avais fait signe à Alain de me rejoindre sur l’extérieur pour lui dire que je sortirais en fou avant le virage en coude et qu’il se devait de me suivre. Qu’à l’allure que j’étais pour rentrer dans les virages en S que personne d’autre ne me passerait, à moins de prendre le décor! Aussitôt après la voie ferrée, tu t’envoles parce qu’il est certain que je n’aurai plus de jus. Comme prédit, les mains dans les arches de mon guidon, je sors en sprint sur le côté extérieur du peloton pour entrer le premier dans le virage à vive allure à une vitesse qui m’a même fait peur. Pas question de regarder en arrière en pareilles circonstances. Advienne que pourra. Je réussis à revenir à l’intérieur pour reprendre le prochain virage toujours en tête avec autant de vitesse sur la gauche et à ma sortie de la voie ferrée de l’autre côté, je n’en peux plus et je me tasse pour laisser passer Alain…en principe. Malheureusement, Alain ne m’avait pas pris au sérieux, m’avait-il dit après la course, et c’est Daniel Périgny, un gars de Shawinigan,  un ancien sénior de l’équipe nationale, qui avait pris ma roue pour entrer presque seul comme Alain aurait dû faire. Périgny s’est approché de moi dans le cool down après le fil d’arrivée pour me dire que je devrais parler moins fort avec Alain et que ma stratégie avait été l’une des meilleures qu’il avait connue… SACRAMENT D’OSTIE DE CALICE DE TABARNACLE!!

Nous sommes toujours en Montérégie sur terrain plat sur l’une des dernières courses de la saison. Mon pote Alain est premier au cumulatif du Super Prestige avant cette dernière course par quelques points seulement devant un autre gars. La seule façon pour ce type de gagner au classement provincial de la saison était de s’assurer de gagner la course sans qu’Alain ne soit sur le podium. Cette course fut ponctuée de plusieurs échappées, dont l’une, à l’insu d’Alain vers la fin de la course avec ce gars en question à l’avant. Alain avait encore travaillé trop fort à l’avant et il avait manqué le bateau lorsque ces trois gars l’ont pris par surprise. Personne ne voulait les chasser et à chaque fois qu’Alain a voulu sortir du peloton pour les rejoindre, des gars travaillant pour l’échappé réussissaient à le reprendre et à venir baisser le tempo à l’avant. L’échappée n’avait pas une grande avance. Moins de 30 secondes si je me souviens bien. Nous les avions toujours à vue, c’est ce qui était choquant. Je ne me souviens pas qu’Alain m’ait demandé quoique ce soit de lui-même dans une course depuis que nous courrions ensemble, mais cette fois-ci, il m’avait dit « Bob, je suis un peu fatigué. Je n’y arriverai pas seul!» Je n’ai pas su quoi lui dire. Sa demande m’a figé bin raide. Vais-je être capable? J’étais déjà éprouvé par les tentatives répétées qu’il avait tenté lui-même de faire. Tout tournait tellement vite dans ma tête. Je ne pouvais plus attendre. Le temps de réfléchir à comment j’étais pour m’y prendre nous faisait perdre du temps précieux. Je n’avais pas à sortir comme une bombe me suis-je dit, de toute façon je ne décrocherai pas personne si Alain, lui-même, n’a pas été capable. Je vais juste me mettre dans le rouge pour rien et il n’est pas garanti que je puisse maintenir ce rythme longtemps pour couper l’avance des gars en avant. Le but était donc d’augmenter le rythme pour qu’on me laisse tranquille à l’avant, et ce, aussi longtemps que je le pourrai ! That’s it! J’ai pris quelques grandes respirations, j’ai repris mon calme et le contrôle de mon rythme cardiaque et j’ai pris la commande du peloton en augmentant discrètement ma vitesse de façon régulière, et à ma grande surprise, les gars les plus forts du groupe ont préféré me coller plutôt que prendre les devants pour venir me ralentir. Une occasion s’offrait donc à nous me suis-je dit. Sans donner de coups, je me suis efforcé de maintenir ma vitesse la plus élevée possible aussi longtemps que je le pouvais. Je n’ai qu’une chance. Je me suis accroché après mes cocottes de guidon, fléchi par en avant, les bras à l’équerre, les coudes à l’intérieur, la tête penchée, pour à la fois regarder à l’avant, mais aussi pour regarder sous mes aisselles pour voir ce qui se tramait à l’arrière. Je suis en pleine puissance. J’ai les schnolls, les couilles bien appuyées sur le nez de la selle, je m’efforce de maintenir la bonne cadence alliant force et vélocité. J’avais commencé à retrancher du temps précieux. Je savais que je me rapprochais légèrement des gars en avant. Les gars me collaient toujours au train arrière et je savais qu’Alain veillait aux grains à l’arrière, qu’il se doutait que cela ne pouvait plus continuer encore très longtemps mon affaire. Nous faisions souvent des sprints de pancarte ensemble lors des entraînements, alors il était très familier avec ma silhouette à l’effort. Je souffrais le martyre, je grimaçais d’effort, j’avais quitté les mains sur le dessus des cocottes pour m’accrocher dans les drops et quand je suis rendu là, je sais que la fin approche. C’est le dernier effort que je peux donner et je m’en fous de sauter. C’est ma job et il n’y a que moi qui peux la faire alors, à la seconde que je rends l’âme à 45km/h, instantanément, Alain a trouvé les ressources pour donner le coup de grâce. BANG ! Il est sorti du peloton comme une bombe avec l’énergie du désespoir. Il y a bien quelques gars qui ont réussi à le coller quelques instants, mais ils ont à peu près tous sauté l’un après l’autre eux aussi sous le rythme qu’il leur a imposé. Mon travail avait porté fruit. Comme dans toutes les courses où des coureurs se disputent un podium, le gars qui menaçait Alain à l’avant s’est retrouvé seul à travailler, parce que les deux autres ne voulaient plus coopérer. Tu veux gagner le Super prestige mon homme et bien à toi de travailler pour! Le temps que les gars s’envoient chier, Alain avait réussi à les rejoindre pour finalement rentrer 3e. Alain avait donc assuré sa victoire au Super Prestige du cumulatif provincial chez les maîtres « A » (35 à 45 ans).

Classement Super Prestige 1992
Pour ma part, j’avais complètement explosé à l’arrière et j’étais rentré seul loin en arrière après tout le monde. Selon l’enthousiasme qu’Alain avait en revenant sur moi après mon arrivée, je savais que nous avions réussi. Lorsqu’il m’a accueilli, je me suis empressé de lui demander… 
« Çà-tu marché Alain? »
« Oui mon homme, ça marché ! »
J’étais tellement heureux. C’est le plus beau souvenir de vélo que je garde gravé dans ma mémoire. Alain m’avait dit après la remise des médailles « Bob, cette médaille t’appartient un peu» et il me l’avait remise autour du cou quelques instants. Cette victoire est l’un des plus grands sentiments de fierté que j’ai connu dans ma vie. Je ne crois pas en avoir connu d’autres aussi fort.

J’étais revenu de cette fin de semaine galvanisée par ces résultats. Il ne nous restait que quelques courses sur le circuit régional à Québec et j’occupais la quatrième place au cumulatif en arrière de mes 2 leaders et un dénommé André Gagnon du Centre Bicycle St-Foy, un féroce compétiteur, un spécialiste de patin de vitesse, qui était tout juste en avant de moi au classement. Comme les premières et 2 e places au général étaient assurées pour mes 2 leaders, je leur avais demandé de me donner un coup de main pour une fois, ce qu’ils ont pu faire admirablement. Les gars étaient si contents de m’avoir retourné l’ascenseur. Une saison de parfaite. 1, 2, 3 pour Boutique Sextemps!
Classement mardis cycliste, Québec 1992



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(À suivre... dans une semaine)

Coach BOB la gazelle!
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Aussi un rouleur!

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Note de l'auteur

"J’aurais certainement souhaité écrire un livre en bonne et due forme et le vendre en librairie. Alors, si je vous ai fait sourire, distrait, passer du bon moment, pourquoi ne pas m’exprimer votre reconnaissance, si ce n'est pas déjà fait, par un don en appuyant sur le bouton « Faire un don » dans le menu en haut de la page à droite."  

lundi 17 décembre 2018

Le vélo à changé ma vie - Chapitre 5

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Chapitre 5
Aller à la bonne école et savoir bien s'entourer

2 autres étés se sont écoulés. Je ne travaille plus chez Ultra-Média communication, la petite Cie que j’avais formée pour la vente de publicité chez Inter-Canadien. Après la faillite de Leblanc le président de Québec Air, voilà que le même homme se retrouve en Lock Out avec Inter-Canadien, mon client. La publication du magazine étant suspendue le temps du conflit de travail, j’ai dû me trouver un nouveau travail. Heureusement, avec la clientèle établie que je m’étais bâtie, une grande agence de pub de Québec à l’époque, m’avait offert un poste en développement des affaires. N’oubliez pas, je suis un bon vendeur.


Ma fille demeurera ma plus grande
et fidèle admiratrice (1992)
Ma vie est stable. Je m’occupe de ma fille les fins de semaine comme nous nous étions entendus sa mère et moi. Je roule la semaine et je m’occupe de ma fille les week-ends. L’été, je prends une couple de semaines en vacances avec elle et elle repart avec sa mère pour au moins 3 semaines. De plus, je peux compter sur elle à l’occasion pour la garder si j’ai un programme spécial lors d’une fin de semaine. Elle a refait sa vie avec un autre homme avec qui elle aura un autre enfant. Alors, sa mère aime bien avoir Viviane avec elle à l’occasion les fins de semaine aussi pour créer une vie de famille avec son nouveau petit frère.

Qui s’en plaindrais-je? Les conditions idéales ma foi pour entrer sur le circuit des maîtres comme Évariste m’avait suggéré de faire. Nous sommes au printemps 90 et je lui donne un coup de fil pour lui dire que je suis enfin prêt. Enfin, je l’espère. Le club dans lequel il est s’appelle le « Club Jean Garon », le nom de son fondateur, mais aussi du coureur, de mon futur coéquipier.

Vous ne connaissez pas Jean Garon? Normal. La culture du cyclisme n’est pas suffisamment développé au Québec pour qu’on ait donné quelconque importance à nos athlètes qui ont compétitionné amateur ou semi-professionnel dans l’anonymat en arrière-plan des grands reportages sur le baseball, le football et le hockey, les sports qui dominent notre presse sportive.

Mon coach Jean Garon avait entrepris la compétition cycliste en 1959. Au cours de sa carrière, qui prit fin en 1970, c’est-à-dire près d’une vingtaine années avant que je fasse sa connaissance, il avait remporté 42 victoires, dont 5 championnats québécois de cyclo-cross. Il a participé aux Jeux du Commonwealth en 1962, au Tour du Saint-Laurent de 1962 à 1965, au Tour de l'Avenir en 1961 et 1962, au Tour de la Nouvelle-France en 1967, et à quatre compétitions des six-jours de Lachine en 1965 et 1966. Lors de la classique Québec - Montréal, il a terminé deux fois deuxième et deux fois troisième.

Voici ce que j’avais écrit sur lui sur mon blogue en 2012, il n’y a pas très longtemps, 25 ans plus tard après s’être connu, juste parce que je l’avais aperçu de loin en vélo sans pouvoir lui parler. J’étais revenu à la maison la gorge nouée. J’aurais pu passer sur dix feux rouges sans m’en apercevoir. Tellement d’images et de beaux souvenirs ont resurgi dans ma tête. Je lui suis tellement reconnaissant qu’il ait pris soin de moi comme athlète. 

Jean Garon, 1962-65
« Quelle personne joviale il était et qu’il doit être encore. Je l’ai malheureusement manqué en sens inverse sur la piste cyclable des cheminots pas de casque avec sa petite casquette par en arrière comme toujours…

 … Je veux donc profiter de ce moment pour remercier les frères Garon du support et de l’encadrement qu’ils m’ont offert lorsque je les ai côtoyés de plus près. Jean commandait les entraînements au printemps et il savait comment nous parler et nous motiver à le suivre pour monter jusqu’à l’étape dans le parc des Laurentides à la mi-avril pas de casque avec juste une tuque sur la tête ! Il se préoccupait du sort de tout le monde, nous appelait pour savoir comment nous allions et avait toujours la bonne observation pour dissiper le doute en nous. Avec lui, l’important était d’essayer et d’être content de notre performance. Parmi tous les coureurs de l’époque, lorsque nous n’étions pas au sommet de notre forme aux premières classiques du printemps, il était le seul à tenter le tout pour le tout pour s’échapper tout seul à pleins gaz, même si cela pouvait ne l’amener à rien du tout. Je me rappellerai toujours de ses sourires moqueurs et de satisfaction après l’avoir essayé « As-tu vu Bob? Çà presque marché ! La prochaine fois ça va y être ! Il connaissait tous les trucs du métier et était une personne des plus respectées dans le peloton. S’il y avait un grand parleur ti-faiseur dans le peloton, il ne se gênait pas pour lui dire ce qu’on s’attendait de lui ou de carrément se la fermer!!

Baveux vous direz? Oui, mais il avait le droit lui ! Quand on s’est mesuré aux meilleurs dans le monde dans des courses comme celle du Tour du Saint-Laurent, que tu as bourlingué en Europe sur les grands circuits amateurs, tu intègres et développes une personnalité avec des codes de conduite qu’il faut respecter. C’est la loi du milieu ! Hommage à toi Jean…. MERCI ! »

Jean n’était pas le gars à exiger des formalités pour pouvoir entrer dans son club. Tu te présentes chez lui le samedi matin à 10h dès le début d’avril et si après une couple de sorties, tu te plais toujours avec les gars, il ne te refusera pas. Trop peu de monde était attiré par les courses pour commencer à leur dire « non ! Vois-tu mon homme, je ne crois pas que tu as le potentiel »

Jean savait bien trop ce que c’était pour moi de commencer à courir avec des gars que tu ne connais pas du tout. L’équipe était composée d’excellents cyclistes, que j’ai appris à connaître et à respecter avec leurs qualités et défauts. Ce n’était pas le temps de leur dire, ah moi j’ai fait ci, ah moi j’ai fait cela…vous voyez ce genre d’attitude lorsque quelqu’un cherche à se défendre en s’élevant à un rang qu’il n’est pas. De toute façon, de quoi aurais-je pu me vanter moi, à part de leur dire que j’étais un ex-toxicomane. Cela faisait 3 ans que je rêvais à ce moment, de faire partie d’un club de compétition avec des gars qui m’inspireront, qui me montreront le chemin. Je vous en présente quelques-uns, les plus importants. Les autres étaient des coureurs de mon calibre, des gars qui auraient peut-être oublié mon nom, si cette histoire avait été racontée par eux :


Claude et moi analysant les résultats
après une course
Claude Garon, le frère de Jean avec qui il a fait les six jours de Lachine et bien d’autres courses amateurs. Claude pouvait casser ou tordre un bicycle sous l’impulsion de son coup de pédale au sprint. À 200 lb, lorsqu’il s’assoyait sur sa barre horizontale de vélo le nez sur ses patins de freins avant, il pouvait dépasser les 90 à l’heure en le temps de le dire dans une descente. Je me souviendrai toujours d’un championnat du Québec ou Canadien à Lac Mégantic, Claude et moi s’étions fait décrocher par le peloton dans une longue montée vers le Lac Drolet et il tombait des cordes. Une pluie si grosse que tu voyais les gouttelettes rebondir sur l’asphalte. Nous arrivions au sommet de la montée et on apercevait déjà le peloton devant nous dans la descente vers le village. Et Claude m’avait dit…
« Robert installe toi derrière moi. Je sais que tu ne verras pas grand chose, mais fais-moi confiance. Tant et aussi longtemps que tu recevras le jet d’eau carré entre les deux yeux, dans tes lunettes ou ailleurs, c’est que tu es à la bonne place ! Tu vas voir, on va les rattraper, je te le dis! »
« T’es malade Claude, voyons donc, cela n’a pas de sens, on va se tuer!». 
Je ne me souviens plus de la vitesse que nous sommes descendus sous cette pluie. Je me souviens très bien avoir fait une prière avant de m’élancer avec lui. J’avais confiance en Claude. S’il dit que c’est possible, c’est que c’est faisable. Tout le long de la descente, je me suis assuré d’avoir les mains dans les drops de mon vélo, le plus calmement possible, sans avoir les bras tendus. Je me suis assuré d’être le plus près possible de lui pour recevoir le jet d’eau de sa roue arrière carré dans le front ! Quand j’ai senti que nous diminuions de vitesse une fois en bas, j’ai relevé la tête pour m’apercevoir que nous rentions dans le village en même temps que le peloton. Nous les avions tous rattrapés Wowww !


Championnat du monde Hawaï
Alain Deschênes était mon leader de catégorie d’âge, mais aussi le meneur de toute l’équipe. Il a gagné une couple d’années le super Prestige du meilleur coureur sur route au Québec dans sa catégorie d’âge (A) le temps que j’y étais. Il n’était pas du genre volubile à se péter les bretelles comme beaucoup de ses concurrents qui auraient bien aimé avoir son talent. C’était sur son vélo qu’Alain s’exprimait le mieux. Aujourd’hui à 65 ans (2018), Alain a dû se retirer d’une magnifique carrière d’Ironman suite à des blessures qui, avec l’âge, sont venus l’ennuyer. Trop pour l’empêcher de rentrer premier! Durant plus de 20 ans, il s’est distingué sur la scène internationale comme l’un des meilleurs IronMan au monde. Il remportera en 2005 à 52 ans l’IronMan de Montréal toute catégories confondues en 9h21m. Il obtiendra sa place pour aller aux championnats du monde en gagnant à 2 reprises l’IronMan de Lake Placid, qu’il détient toujours le meilleur temps à vie chez les 55-59 ans, celui de Penticton au BC, Tremblant et récemment celui du Maryland aux États-Unis. Il aura participé à plusieurs reprises au championnat du monde à Hawaï, où il réussira à terminer 2 X 4e et une fois 2e. Seule la médaille d’or maque à son tableau d’honneur et ce n’est pas parce qu’il n’a pas essayé. Alain est sans aucun doute le plus grand combattant que j’ai côtoyé et c’est avec beaucoup de fierté que je me plais à dire qu’il est aussi mon grand ami.


2014
Gaétan Beaulieu était un autre de super athlète. Un petit gars de Baie-Comeau de la Côte-Nord qui avait laissé une job de journalier à l’Iron Or pour se rapprocher du Mont Saint-Anne et des compétitions de ski de fond. Voici ce qu’on disait de lui dans le journal en 2011 :

« Il n'y a pas qu'Alex Harvey qui brille comme Saint-Ferréolais sur la scène internationale du ski de fond. Gaétan Beaulieu est monté à deux reprises sur le podium en Coupe du Monde des Maîtres en ski de fond, présenté la semaine dernière, à Sovereign Lake, en Colombie-Britannique. Le fondeur de 55 ans a mérité l’argent au relais 4 X 5 km classiques, et le bronze au 10 km classique. Il a aussi obtenu des quatrièmes places au 30 km, à seulement quatre secondes du podium, et au 45 km, l'épreuve la plus difficile. Athlète émérite, Gaétan Beaulieu a remporté de nombreuses fois les championnats canadiens de ski de fond ».

Évariste Lavoie que je vous ai longuement parlé déjà, ainsi que d’autres coureurs pas moins émérites tel Pierre Gagné, champion de patin de vitesse, les Michel et Marcel Bédard, Michel Dumas, des vrais gentlemans, qui ne disaient jamais un mot plus haut que l’autre, mais qui finissaient toujours parmi les meilleurs.

C’est avec ces gars-là que j’ai commencé. Vous savez, quand on dit au hockey que ça prend des vétérans dans le vestiaire pour montrer la voie aux jeunes, bien c’était la même chose dans notre groupe. Malgré un souci des petits détails et l’éthique du travail qu’ils avaient, vous savez quoi? Ils ne se prenaient pas trop au sérieux. Certains de mes amis aujourd’hui me trouvent parfois baveux quand je roule avec eux et bien dites-vous qu’ils n’ont rien vu. Il fallait les voir s’écoeurer entre eux, lorsque que quelqu’un manquait de gaz, un virage, ou tentait une échappée dans une descente, regardait les filles sur un trottoir, arrivait avec un bicycle sale ou n’importe quoi d’autres. Tout était sujet à la risée et au ridicule. Un susceptible n’aurait pas fait long feu. J’étais le petit dernier qui venait d’arriver et il n’aurait pas fallu que je les trouve niaiseux ou que je me plaigne de leurs enfantillages.

Je me souviens de mes premières sorties au printemps avec eux. Il faisait tellement froid, qu’il nous arrivait souvent de ne pas mettre notre casque, parce que c’était embarrassant sur une tuque à double épaisseur pour se protéger du froid.
MA tenue habituelle du printemps :-)

Nous pouvions partir de chez Jean dans le bas de Charlesbourg en route vers Saint-Ferréol des Neiges. Cela pouvait faire plus d’une centaine de kilos aller-retour. On ne faisait pas de voyage en Europe dans ce temps-là vous savez, et les entraînements en salle n’étaient pas aussi sophistiqués qu’aujourd’hui. Jean surveillait la cadence de nos coups de pédale durant les réchauffements. Les gars n’étaient pas pressés. Ils en profitaient pour se dire combien de kilos ils avaient déjà au compteur, quel genre d’entrainement ils avaient fait durant l’hiver etc. Depuis le temps que les gars ne s’étaient pas vus, c’était le temps de placoter sur le petit plateau pour cette première demi-heure.

Mais aussitôt ce réchauffement terminé, Jean ouvrait les hostilités en plaçant quelques mines ici et là pour obliger nos meilleurs de l’équipe à le pourchasser. Si ce n’était pas lui, c’était son frère Claude. Ces deux hommes-là n’avaient pas plus la forme que nous vous savez! Jean était professeur au secondaire et Claude fonctionnaire, alors vous voyez? Même qu’ils avaient des familles, femmes et enfants par-dessus le marché, alors que la majorité d’entre nous étions tous des célibataires endurcis sans enfants avec plein de temps libre. Mais ils avaient du chien, de l’audace et se plaisaient à réveiller le groupe. Claude et Jean Garon avaient le vélo dans le sang. À combien de camps d’entrainement avaient-ils déjà participé? 20, 30, 40 ? Vous vous imaginez? À ce moment-là, pas de programme d’entrainement issu de Docteurs en Éducation physique ou de spécialistes comme aujourd’hui, qui calcule ou suit ton programme selon toutes sortes de paramètres de performance. Non ! C’était l’époque du No pain, No gain ! 

Je faisais du mieux que je pouvais lors de ces premières sorties printanières. Ma préparation n’était jamais la meilleure non plus. Les gars faisaient beaucoup de ski de fond ce à quoi je m’étais résigné à faire et encore aujourd’hui. J’avais toujours cru m’être bien m’entraîner l’hiver, mais je me suis vite aperçu que j’étais plutôt paresseux. Malgré tous mes efforts, je n’arrivais jamais à suivre le groupe quand le rythme s’imposait, mais Jean se laissait toujours redescendre vers moi pour me demander si tout allait bien? Orgueilleux comme je suis, je lui répondais…
« non, mais tu blagues Jean!! Non non ça va. Je suis juste un peu moins fort que vous autres aujourd’hui et je ne réussis juste pas à démarrer dans le bon moment. Cela va se replacer, tu vas voir ».

Jean se faisait toujours un plaisir de me décrire le tempérament des gars, leurs forces et faiblesses et des situations de course qu’il nous imposait pour que je développe ce sens qui te permet d’allumer dans le bon moment, de lire une course, d’y comprendre ce qui se passe et surtout, de deviner ce qui va se passer avant que cela n’arrive. C’est ce qu’on appelle avoir l’instinct du coureur. Et croyez-moi, j’en ai connu des gars plus forts que moi à vélo, mais qui ne l'avaient pas cet instinct. J’étais toujours un peu surpris d’arriver avant eux au fil d’arrivée. Jean pouvait même m’accompagner dans ces moments de récupération pour me crier « envoye Christ ! Démarre Robert! T’a pas vu nono!» À force de me faire crier après et avec du travail, j’ai fini par ne plus en échapper une! Ses précieux conseils m’ont permis de sauter les étapes, d’accélérer ma progression. Qui sait? Peut-être aurais-je abandonné si j’avais été laissé à moi-même comme beaucoup d’autres gars dans d’autres clubs?

Je revenais chez moi complètement démoli. Le cul endolori, les psoas raides, douloureux et crampés de partout. Fallait que je me laisse tremper dans un bain chaud pendant une heure et après je n’étais bon que pour souper et aller me coucher pour ma sortie de récup le lendemain en solo. Je préférais reprendre le collier seul, sauter l’entrainement facultatif. Une journée à me faire chier par les gars était bien assez pour moi à cette époque.

Ces camps d’entrainement au printemps en sa compagnie ne duraient que 3 semaines jusqu’au premier rendez-vous des courses régionales et de la première provinciale à Ste-Martine en Montérégie à la fin avril.


Ste-Martine, au centre (1992)

Malgré cette bonne préparation, mes débuts furent difficiles comme les débuts de tous les nouveaux. La forme qu’on s’est bâtie avant le début de la saison joue certes un rôle, mais c’est la stratégie, le moment de donner son plein effort, comment lire les premiers instants d’une course, qui ont été les principaux facteurs de succès pour moi. C'est sur ces aspects que j’ai dû travailler. Dès que le coup de départ est donné et que ça part en fou, il est important de s’être placé derrière un coureur de notre calibre, mais qui, contrairement à soi, saura s’accrocher. On le sait par ses résultats des courses passées qu’on analyse. Lors d’un départ, on se dit, tiens ! Aujourd’hui je pars en arrière de Jean-Claude. C’est un coureur qu’on sait être capable de suivre et qui saura aussi se frayer un chemin en jouant des coudes au travers les premières chicanes du départ. Dès le moment qu’on est sur le bord du désespoir après ce coup de départ, qu’on se demande si on pourra suivre ce rythme sans craindre d’avaler sa langue, il faut vite chasser ces idées noires de sa tête et endurer cette douleur encore quelques secondes, et de se dire envoyyyy Bob t’es capable, ne lâche pas!!! Tout le monde à l’avant a certainement aussi mal que toi ciboire, surtout qu’ils font face à plus de difficulté que toi sur le front avant de la course. Ils ne sont tout de même pas des extra-terrestres, ils finiront bien par lever le pied à un moment donné. Le temps que les premiers se relèvent pour se demander qui prendra la relève, ou le temps que quelqu’un décide de placer une autre accélération pour contre attaquer, le pack avait ralenti quelques secondes, le temps qu’il te fallait pour récupérer. Tu es sauvé. Tu n’as que quelques secondes pour reprendre ton souffle et te remettre à la bonne place, mais comme tout le monde est essoufflé, même chez les meilleurs, bien le prochain démarrage est moins violent et tu as la chance d’être mieux réchauffé pour y faire face. Tu t’es assuré de maintenir ta position en arrière d’une bonne roue, puis tu t’accroches coûte que coûte !

Il m’a fallu pas moins de 4 à 5 départs régionaux avant de pouvoir bien maîtriser cette dynamique et finir dans le peloton sur des terrains pas trop accidentés. Au provincial, j’ai eu certainement besoin d’une couple de courses de plus pour y arriver. Le calibre étant plus relevé, les contre-attaques fusent de tous côtés et lorsque venait le temps de séparer les hommes des enfants sur une bosse ou une montée, il m’arrivait de ne pas être en mesure de suivre le premier peloton. Des fois, parce que je ne m’étais pas bien placé, je n’avais pas suivi une bonne roue, ce qui t’oblige à donner un coup de reins pour le dépasser et combler le trou qu’il t’a créé pour rejoindre les autres à l’avant. Si tu en donnes plusieurs coups de même, cela vient t’en siphonner de l’énergie, et lorsque le bon coup doit être donné, bien tu n’en a plus! C'est cela la course! En d’autres circonstances, je n’avais pas encore le torque des meilleurs pour suivre ce rythme d’enfer. Mais c’est sûr qu’il y avait une explication. Tu te couches le soir et tu visualises toute l’affaire à nouveau et tu as affaire à ne pas te conter de menteries si tu veux t’en sortir. Il faut que le déclic se fasse la fois d’après, quand survient la même situation de course, tu te dois d’être mieux préparé pour prendre une meilleure décision. Si tu foires encore, just to bad mon homme, mais il faut que te refasse le replay encore dans ta tête et que tu cherches le moment et le pourquoi de cette rupture avec le groupe. Que s’est-il passé CALICE? C’est la réaction que j’avais quand ça se produisait. Si cela ne te fait pas mal, si ton orgueil n’en prend pas un coup, bien tu n’y arriveras pas.
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(À suivre... dans une semaine)

Coach BOB la gazelle!
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Aussi un rouleur!

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Note de l'auteur

"J’aurais certainement souhaité écrire un livre en bonne et due forme et le vendre en librairie. Alors, si je vous ai fait sourire, distrait, passer du bon moment, pourquoi ne pas m’exprimer votre reconnaissance, si ce n'est pas déjà fait, par un don en appuyant sur le bouton « Faire un don » dans le menu en haut de la page à droite."  

mardi 11 décembre 2018

Le vélo a changé ma vie - Chapitre 4

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Chapitre 4
Une rencontre marquante

Tout allait comme sur des roulettes à mon travail comme représentant publicitaire pour le magazine de la compagnie aérienne Inter-Canadien. Je vendais autant du local que du National auprès des grandes agences de pub. J’allais régulièrement à Montréal, aller-retour dans même journée, pour « closer » mes ventes. Je prenais l’avion à 6h du matin et je revenais sur le vol de 17h ou 18h en fin de journée. Je pouvais rencontrer jusqu’à 6 clients enlignés dans une même journée. Un vrai contre la montre. J’étais devenu un homme d’affaires en complet cravate. Le patron de mon chum André, parti pour la radio, était tellement satisfait de moi, qu’il m’avait vendu son condo dans le Vieux-Port de Québec, une proportion en argent, et la balance en monnaie d’échange. Il s’agissait d’un système d’échange, de troc si vous voulez, mis sur pied à cette époque pour favoriser les échanges de services entre entreprises, sans avoir à sortir de l’argent comptant. L’idée n’était pas mauvaise en soi. Dans le milieu de l’édition par exemple, s’il me restait quelques espaces publicitaires à vendre avant une date de tombée, je regardais dans le membership de ce regroupement, qui pouvait être un client potentiel pour mon magazine. S’il était un restaurateur par exemple, il me refilait le nombre de tables d’hôte à son restaurant qui équivalait au prix de ma publicité. Cela faisait chacun notre affaire. Il obtenait une excellente visibilité dans un magazine rejoignant essentiellement des gens d’affaires et moi des repas que je pouvais offrir à mes meilleurs clients pour les remercier de leur fidélité. Or, mon boss m’avait vendu 50 % de son appart en argent et l’autre en échange de cette monnaie de singe. Qui pouvait se procurer cette monnaie selon vous, si je voulais éponger ma dette? Il avait bien flairé l’affaire le gars. En acceptant ce deal, il s’assurait que je reste chez lui pour le rembourser, puisqu’il n’existait aucune autre façon pour moi de gagner de cette monnaie d’échange qu’en travaillant pour lui. Vous voyez l’affaire? Je m’étais fait fourrer dans un certain sens. Anyway, je débutais une nouvelle vie comme propriétaire d’un superbe condo au 29 rue Sault-au-Matelot en plein cœur du vieux Québec.
Immeuble doré. Rue piétonnière 2015
J’y demeurerai pendant 14 ans ! Dans ce temps-là, le quartier n’était pas du tout développé comme aujourd’hui. C’était même reconnu pour être un quartier un peu démuni. Un chic hôtel aujourd’hui voisin de chez moi était à cette époque un immeuble désaffecté et squatté par les punks de Québec. Cela ne m’effrayait pas. J’avais vu les gros chars passés comme on dit.  Tranquillement, avec le temps, je m’étais fait une couple de chums sur le BS très utiles dans un HLM d’à côté. En échange d’une couple de gros gaskets ou de poudre à perlimpinpin, que je pouvais me procurer encore, j’avais acheté la paix dans le quartier. J’étais un homme respecté. À cette époque, il était fréquent qu’un voisin se fasse défoncer, alors que moi, j’avais la grosse paix. Mon voisin, l’antiquaire Belleville avec qui je m’entendais très bien, étions sur la protection. On nous avait adoptés.

Nous étions au début de l’hiver, genre en novembre et je venais de m’inscrire au Gymnase du Mail Saint-Roch. Le quartier Saint-Roch au début des années 80 ne ressemblait pas pantoute, mais pas pantoute à celui d’aujourd’hui. C’est l’époque où on avait recouvert toute la rue Saint-Joseph d’un toit pour en faire comme un mail de centre d’achats. 
Mail St-Roch, fin années 1970

Rue Saint-Joseph avant











Malheureusement, ce Mail servait aussi d’abri pour ainsi dire aux itinérants en hiver. On y mendiait et il servait même de piqueries à certains endroits. La clientèle du Mail n’avait pas l’allure du jeune bourgeois du quartier Saint-Sacrement que j’étais et qui arrivait en complet cravate pour venir s’y entrainer. La clientèle du Gym était plutôt fréquentée par le petit trafiquant, vendeur de dope avec sa paget à la ceinture, ou du videur de bars égocentrique gonflé à la créatine qui aime voir ses gros bras dans le miroir. Combien de fois me suis-je retrouvé entre deux gorilles tatoués dans douche qui discutaient du dernier « move » qu’ils avaient fait la veille au soir. 
«  Yen a mangé une tabernacle Mike ! Je te dis qu’il a eu à sortir par les deux pieds devant ste gars-là!! » 
On a appris à se connaître. J’étais le gentleman du Vieux-Port. Malgré ma silhouette d’échalote, personne ne venait s’installer sur mes appareils tant que j’en donnais pas la permission en disant « c’est beau man sta toi ». De toute façon, je n’en faisais pas longtemps de la muscu. Et je ne faisais pas vraiment les mêmes exercices qu’eux autres. À l’exception des squats, j’étais plus fervent des redressements assis et des exercices pour renforcir mon dos. Après cela, je me tapais une heure sur les quelques vélos stationnaires que le Gym avait à l’écart de la salle de muscu. Je me suis entrainé à ce Gym pendant 14 ans, le temps que j’ai vécu dans le quartier. Tout le monde me connaissait et je n’avais plus besoin de mettre un cadenas sur ma case. Le gars qui se serait fait poigner à fouiller dans ma case se serait fait couper la gorge !

Il n’y avait qu’une chose qui me manquait à vrai dire. Un vrai bike ! Denis et sa blonde avaient repris possession de leur maison au même moment que j’avais acheté mon condo et il n’était pas question que je reprenne l’entrainement l’été suivant avec le vélo de mon chum André. C’était clair dans mon esprit qu’il fallait que je me trouve un vrai vélo de route comme tout le monde qui me clenchait. C’était écrit dans le ciel que j’étais pour prendre ma revanche l’été prochain à armes égales. Je me suis donc mis à regarder les petites annonces dans le Journal à la recherche d’un vélo. L’Internet en était qu’à ses premiers balbutiements. Un peu avant Noël, que vois-je? « Saint-Émile, Vélo de route Peugeot en parfait état. N’a roulé qu’une saison, Cadre Reynolds 501, monté en campy Chorus, roues en alliage, 1 850 $ non négociable »


Ciboire! Je saute sur le téléphone et je m’empresse d’aller chercher l’information auprès du vendeur. Un jeune qui s’était acheté ce vélo-là neuf l’été d’avant et qui devait vendre vite, parce qu’il avait besoin d’argent. Il n’y avait pas grand monde dans ce temps-là qui pouvait s’intéresser à acheter une bécane à 2 000 piastres $. Je lui ai montré mon permis de conduite, j’ai sorti mon carnet de chèques et il a accepté mon offre à 1 700 $ ! Pas question que je passe mon tour. À mon avis, ce vélo valait près de 2 500 $ ! Vous vous imaginez? En 1987, il y a 31 ans ! C’est comme si aujourd’hui, j'achetais un vélo de 6 000 $ pour 3 ! Je l’ai mis dans mon coffre de char right away, puis j’ai chanté à tue-tête tout le long jusque chez moi. J’étais l’homme le plus heureux du monde. Je m’en souviens comme si c’était hier. L’achat d’un nouveau vélo, comme vous savez, procure beaucoup de bonheur, alors imaginez pour moi, mon premier avec le cheminement que j’avais. Je venais de m’acheter un vélo qui ne pouvait plus me servir d’excuses pour expliquer une contre-performance.

J’avais tellement hâte à l’été, vous ne pouvez pas savoir. J’ai redoublé d’ardeur au gym, pas croyable! Je revenais à la maison le soir et la première chose que je faisais était de regarder mon bike dans les yeux et de lui dire « quand je vais te t’enfourcher toé, ça va être ta fête! » Nous étions en 1988 au printemps de mes 33 ans, un hiver complet sans aucune cigarette, pas de gaskette et ni de ligne de merde. Si vous aviez vu la face de mes chums du HLM à côte dans rue, lorsqu’ils m’ont vu sortir avec mon beau Peugeot sur le trottoir aux premiers chauds rayons de soleil à la fin d’avril accoutré comme j’étais!! Avec mes grands lainages que je devais enrouler deux ou trois tours à la taille, parce qu’ils étaient trop grands pour moi. Du linge emprunté voyez-vous hi hi hi.
« Eh ! Le clown, tu t’en vas ou de même…Christ Bob, Stun estie de beau beucycle cela? » disaient les gars en expirant une bonne touche de cigarette. 
« Cela mon homme, c’est une machine !» en mettant mon cul dessus.
Mon vélo était un peu plus petit que la grandeur qu’on m’aurait vendue en boutique. Si je me souviens bien, c’était un 56 alors qu’aujourd’hui je roule sur du 57 et on me recommande souvent du 59 pour ma grandeur. Le Reynolds 501 était l’équivalent du Colombus chez les cadres en alliage acier/Cromoly. À l’époque, je ne pouvais pas le comparer avec d’autres types de cadre. J’étais complètement néophyte en la matière. Évidemment, il n’y avait aucune comparaison à faire avec mon beau Poliquin jaune. Sa légèreté et conduite sont les deux aspects qui m’ont surpris le plus. Je m’en suis vite aperçu dans mes premiers virages. Oups mon homme, soit prudent, tu n’as pas trop le droit à l’erreur. Je n’avais qu’à incliner le vélo en appui dans les virages et vlan, c’est parti ton affaire mon homme, c’est là que tu passes et pas ailleurs, accroche ta tuque ! Et c’est quand je suis arrivé dans mes premières côtes et que je me suis levé en danseuse pour la première fois, que je me suis aperçu comment mon petit Peugeot était un bolide, « stiff » en accélération et relance, même en le comparant quelques années plus tard avec mon Desmarais en Colombus SLX que j’ai eu. Je l’ai gardé 4 ou 5 ans mon Peugeot et je n’ai pas eu honte de le revendre 500 $ à mon voisin pour qui s’était mis au vélo, et il ne s’en est jamais plaint.

Mon premier parcours que je ferai durant des années et pas mal plus souvent que j’aurais pu me l’imaginer, était de sortir de ma rue par Saint-Paul, aller sur le boul. Champlain pour remonter à l’autre bout des ponts, pour aller rejoindre la rue des Hôtels qui donne sur le Chemin Saint-Louis. Dans ce temps-là, il n’y avait personne ou que très peu de monde qui roulait sur ce boulevard, que ce soit au printemps ou n’importe quand durant l’été. Il n’existait à peu près pas de cyclistes sportifs comme aujourd’hui. Quand je voyais une face, je le saluais bien sûr, mais je m’efforçais aussi de savoir qui était-ce. Et la plupart du temps, il s’agissait de coureurs que j’avais vus lors des courses du mardi soir l’été. Ils étaient habillés avec leur ensemble de club la plupart du temps, donc facilement reconnaissables.

Pour revenir chez moi en fin de parcours, j’avais le choix d’emprunter la haute ville, soit par le Chemin Saint-Louis à nouveau, St-Cyrille, aujourd’hui René-Lévesque, ou d’aller rejoindre le boulevard Charest pour rentrer par la basse ville. C’est d’ailleurs sur Charest que j’ai rencontré mon premier cycliste maître, qui a bien voulu m’adresser la parole et me prodiguer quelques petits trucs pour mieux rouler. Mon grand ami et défunt Évariste Lavoie, mort à l’âge de 78 ans le 6 juillet 2004 avec sa télécommande de télévision dans les mains à écouter le tour de France. Je venais de connaître l’un des plus grands mordus cyclistes que le Québec ait connus. Évariste avait tellement bourlingué, qu’il ne savait plus où suspendre ses médailles ou remiser les nombreux trophées qu’il s’était mérités partout au Québec ou ailleurs dans le monde. Il y en avait plein son salon et même accrochées après ses poignées d’armoire de cuisine. C’est sûr que certains jaloux diront, qu’il n’a rien fracassé lorsqu’il était jeune sénior comme eux, sauf qu’il avait déjà été couronné champion du monde dans sa catégorie d’âge. Sans enfant ni femme dans sa vie, Évariste n’avait que le cyclisme comme passion l’été. Année après année, il s’est toujours présenté sur les lignes de départ pour donner le meilleur de lui-même pendant plus de 60 ans. Vous y pensez?!
Évariste à ses dernière années
Voici ce que Michel Bédard, un de mes futurs coéquipiers de vélo, lui a témoigné lors d’une soirée reconnaissance où nous nous étions tous réunis, cyclistes de Québec, pour lui offrir un nouveau vélo en remplacement de son Marinoni qui était affaibli de partout.

« Rappelons-nous qu’en Europe, le cyclisme est plus populaire que le hockey. Or, notre cycliste québécois ne craint pas d’aller se mesurer, année après année, avec les grands mordus de la pédale. En 1987, il remporte même le Championnat du monde de cyclisme dans sa catégorie. Il est trois fois 3e à ce championnat; une fois 2e et une fois 7e en coupe du monde. Au tour du Var sur la Côte d’Azur, il est deux fois vainqueur, trois fois 2e et une fois 4e. Il compte dix participations à la Semaine internationale du cycliste à Deutschlandsberg avec deux victoires et monte huit fois sur le podium. En 1974, il remporte la Maine International Bicycle Race.
Au Québec, notre increvable Évariste compte 57 années de course cycliste : il fait 29 fois la course cycliste Québec-Montréal (la course la plus longue au monde pour amateurs). Il participe à dix Tours du Saint-Laurent et en gagne une étape. On le voit aussi dix fois dans la course Québec-La Malbaie. Lors des championnats canadiens et québécois, il devient un familier du podium. En 1946, alors que la plupart d’entre nous ne sont même pas nés, il gagne le Championnat canadien, dont le départ s'était donné par Camilien Houde. »

Évariste ne se faisait pas à manger. Il demeurait au coin de Charest et de Marie-de-L’incarnation, et mangeait trois repas par jour au restaurant Normandin en face de chez lui. Je suis ému d’écrire ces quelques lignes à son sujet. Quel homme charitable. Il m’avait pris sous son aile. J’avais fini par connaitre son horaire et je m’arrangeais toujours pour le croiser quelque part dans l’ouest de la ville vers Saint-Augustin-de-Desmaures sur le territoire des Louis Garneau, Marc Blouin, Yvan Waddell et Cie, des gars que je ne connaitrai que beaucoup plus tard.

Il moulinait avec précision comme une vieille machine à coudre Singer. Vous vous souvenez des courroies d’entrainement des machines à coudre que nos mères faisaient tourner à la main pour les aider à démarrer. Bien, Évariste avait cette régularité et souplesse dans son coup de pédale. Il m’avait demandé mon âge à ma 2e saison avec mon super Peugeot, que j’adorais toujours. 
« 33 Évariste »
« Ouin tu es un peu jeune Robert. Je te croyais un peu plus vieux. Écoute lâche pas, je te trouve vraiment bon. Continue de t’entrainer comme cela, et si tu fais toujours du vélo à 35 ans, bien tu pourras venir courir avec nous autres chez les maîtres. Je te présenterai à la gang».
 Wow, qu’est-ce qu’il vient de me dire lui là?
« Tu dis que je suis bon Évariste ! J’ai de la misère à te suivre et tu as 61 ans voyons donc!! »
« Non non, crois-moi m’a-t-il dit avec sincérité »
Quand même curieux que je m’éblouisse devant les performances d’Évariste âgé de 61 ans, alors qu’au moment je vous parle j’en ai 63. À la différence que je ne fais pas le même effet aujourd’hui à un jeune homme de 33 ans que lui m’a fait. Ce soir-là, quand je suis revenu chez moi après mon entraînement, je flottais dans l’air, je venais de monter une autre marche. Je le connaissais le bonhomme. Je le voyais se battre et se colmater avec les plus jeunes lors des mardis cyclistes. Je ne pouvais pas m’imaginer gravir les échelons jusque-là, mais là, il venait de me donner le goût d’essayer. Il ignorait quel regain de vie il venait de me donner. C’est grâce à lui si j’ai persévéré jusqu’à l’âge éligible 2 ans plus tard.

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(À suivre... dans une semaine)

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mercredi 5 décembre 2018

Le vélo a changé ma vie - Chapitre 3


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Chapitre 3
Mon premier bicycle

Nous étions déjà rendus en juillet. Mondou que l’été passe vite. André Blondin, un de mes chums de sorties dans les bars, me demande de l’aider à déménager. Tout comme moi, il venait de se séparer. Nous avions à peu près tout chargé dans le camion ce qui lui appartenait dans la maison. André m’invite à vider le garage de cossins entreposés là. Quelques chaises de parterre, un poêle Coleman, un sac de golf…et que vois-je sur le mur suspendu en l’air sur un crochet? Un beau vélo jaune.
«  C’est à qui ce vélo-là André »?
« Bien, c’est à moi. »
« Es-tu sérieux? Tu ne m’avais jamais dit cela que tu faisais du vélo? »
« Je n’en fais pas non plus. J’ai ce vélo depuis longtemps. Je l’avais acheté à un moment donné dans l’idée d’en faire plus, puis cela ne m’a jamais adonné. »
André est le genre de gars qui achète toujours la première qualité. Il avait ce petit côté fierpett d’avoir toujours ce qu’il y a de mieux ou de se procurer les dernières technologies, genre les petites mini-caisses de son performantes, le Walkman dernier cri etc .
« Puis-je le voir? »
« Bien sûr, de toute façon, faut le décrocher pour le mettre dans le truck » 
André s’était bien aperçu que je le regardais minutieusement. C’était aussi un vélo Poliquin, pas haut de gamme comme celui de Jocelyne, mais il n’était pas mal du tout. Il semblait avoir des roues en aluminium et la pneumatique n’était pas aussi large que les vélos standards 24 pc comme mon ancien Chinic que j’avais eu jeune. Les pédales étaient faites pour accueillir des souliers de vélo à l’intérieur d’étriers. À cette époque, les cales d’aujourd’hui n’existaient pas. Les souliers avaient une semelle rigide avec une fente transversale en dessous du pied, qui permettait au soulier de s’ancrer sur le dessus de la pédale en métal à l’intérieur de l’étrier. Il ne nous restait qu’à bander la sangle des étriers pour nous empêcher d’en sortir, à moins d’une sévère chute. Dans ces cas-là, la force du choc, en arrivant au sol, faisait en sorte que les souliers te sortaient spontanément des étriers. Cela t’évitait de tomber avec le bike accroché entre les jambes. J’ai quand même vu quelques gars faire de mauvaises chutes les deux pieds emprisonnés dans leurs étriers, parce qu’ils les avaient trop serrés, m’a te dire qu’ils avaient l’air fins!!
« Savais-tu André que j’ai commencé à en faire du vélo? »
« Oui, j’en ai entendu parler un peu par Lambert que j’ai vu dernièrement » 
Yves Lambert est un autre de nos très bons amis qui lui, est adepte de vélo de montagne. D’ailleurs, je me souviens d’histoires de vélo de montagne sans intérêt pour moi à l’époque, qu’il nous racontait autour d’une bière. Modeste comme il est, il s’était toujours très bien classé ou encore mieux, il nous disait compétitionner dans des raids longues distances contre les Pierres Harvey et Yves Bilodeau de ce monde lors du fameux Raid Pierre Harvey, qui se déroulait sur 3 jours à partir du Lac Beauport.
« Dis-moi André me le prêterais-tu? »
« Bien oui cela va m’éviter de le mettre dans le truck »
J’avoue que cela m’enlevait le poids de risquer de briser celui de Denis à la maison. Celui d’André n’avait peut-être pas un dérailleur aussi précis que celui de Denis, mais il avait l’avantage d’être un peu plus léger. Puis, si je le brisais, je me sentais plus à l’aise de dealer cela avec André qu’avec Denis. Je me sentais comme un enfant qui vient de recevoir le cadeau de Noël qu’il attendait depuis des mois.

Aussitôt arrivé chez moi, je me suis empressé de transférer le petit odomètre que je m’étais acheté. Je suis parti au fond la caisse sur le boul. Valcartier pour voir si j’étais pour mieux me débrouiller qu’avec mon cyclo. Il était un peu plus court, les vitesses étaient moins nombreuses, mais le tout s’enchaînait très bien.

À rouler régulièrement, presqu’à tous les jours après mon travail dans le coin de Loretteville, je m’étais bâti plusieurs parcours. D’où je restais, je pouvais me diriger sans problème aux 4 points cardinaux de la ville. Vers le Nord pour les équerres en montagne , à l’est vers Lac Beauport par la rue de la Faune, vers Saint-Émile à l’ouest en passant par Monseigneur Cook et vers le Sud par Saint-Jacques. 

Ma vie venait de changer du tout au tout. Je me sentais bien. Je ne fumais plus et je n’étais plus tellement attiré par la dope. Je me suis mis à revoir plus régulièrement quelques-uns de mes anciens potes du temps que je travaillais en délinquance, Yves Lambert le gars de mountain bike et André Tremblay un de ses amis, que j’avais également connus au centre pour délinquants. D’ailleurs, j’ignorais que depuis le temps que nos routes s’étaient séparées, qu’André et son jeune frère Patrick, faisaient beaucoup de vélo de route. Je n’étais pas le seul, ma foi, qui avait donné un coup de barre dans sa vie. Curieusement, les deux frères demeuraient à Shannon pas très loin où je demeurais. Même que son petit frère, d’âge sénior, courait pour Bicycle Record, une boutique où il m’arrivait d’acheter des accessoires. Le Centre du Bicycle Sainte-Foy, une autre boutique de vélo où j’allais également fouiner, avait également une équipe de compétition. C’est à partir de ce moment que je me suis mis à m’intéresser un peu plus à ce circuit. Les courses étaient assez bien organisées par un dénommé Jean-Yves Labonté, un ancien mécano de vélo, qui s’était recyclé en coach et organisateur de courses. Ce circuit s’appelait les mardis cyclistes de Québec. Tous les mardis, le jeune frère d’André, Patrick, comme beaucoup d’autres jeunes du Centre de bicycle St-Foy, des indépendants de partout en région, des mordus de vélo de compétition quoi, se donnaient rendez-vous pour une course sanctionnée par la Fédération Québécoise du Sport cycliste (FQSC). Ces courses m’intéressaient d’autant plus que les maîtres cyclistes, les vétérans, couraient également sur le même circuit que ces jeunes Séniors et Juniors. Les maîtres eux devaient être âgés de plus de 35 ans et ils étaient subdivisés en catégories par dizaines d’années; les A avaient entre 35 et 45 ans, les B de 45 à 55, les C entre 55 à 65 ans et enfin les D à plus de 65 ans. Ces maîtres m’impressionnaient vraiment beaucoup. Ils partaient en arrière des Séniors et Juniors et certains maîtres « A », les plus jeunes et même certains « B », pouvaient arriver dans le peloton des jeunes, et même en larguer plusieurs. Ils étaient pas moins de 70 cyclistes sur la ligne de départ à cette époque, toutes catégories confondues. J’adorais entendre le roulement des pneus gonflés à bloc, lorsque le peloton passait devant moi. Les voir sortir d’un virage avec ce bruit de roulement, côte à côte en formation de 2 ou 3 de large avec le meneur à l’avant, qui devait garder sa vitesse en entrant dans les virages pour en ressortir en pleine accélération, me donnait des frissons dans le dos. Cela me faisait triper au boutt de les voir garder le rythme tour après tour considérant ces nombreux virages. Ces critériums pouvaient ne durer qu’une heure à une vitesse de plus 42 l’heure.

Je me suis fait quelques amis à les suivre de même, semaine après semaine. Le ptit frère d’André bien sûr, mais aussi quelques autres comme Carl un type que j’avais conseillé pour démarrer son entreprise d’affichage extérieur. Il y avait aussi ce mécano chez Record Bicycle, qui menait une vie de coureur en parallèle. Il y avait aussi plein d’autres cyclistes qui, tout comme moi sur le bord de la chaussée, n’avaient pas les couilles de ces gladiateurs, rêvassant comme moi d’en faire un jour partie. Honnêtement, durant cet été-là, je n’osais même pas imaginer qu’un jour je puisse y arriver.

De toute façon, je n’avais pas l’âge, la forme, l’expérience de ces gars-là, et le vélo qu’il fallait, malgré mon beau Poliquin jaune. Par contre, je ne désespérais pas. Je n’avais pas recommencé à fumer et j’étais moi-même surpris de la régularité que je mettais à l’entrainement. Presque tous les soirs, à mon arrivée du travail, j’enfourchais ma bécane et je partais sur un no where. J’avais commencé à m’acheter du linge un peu plus hight tech, des cuissards plus de qualité, des maillots plus flamboyants et parfois je me risquais à courir après des cyclistes que je voyais pour m’y accrocher le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’ils me décrochent. Parfois, je n’en faisais pas de cas et en d’autres moments, je le prenais plus mal, surtout si c’était une chevelure un peu grisonnante qui me réservait le même sort, si je m’approchais de lui. Je me disais toujours, mais ou a-t-il pu trouver cette puissance pour me décrocher de même ste christ-là? Il n’est pas plus costaud que moi physiquement ce gars-là pourtant !

L’été tirait à sa fin et j’étais toujours aussi excité d’embarquer sur mon vélo pour tenter de m’améliorer. Je commençais à assimiler plein de choses et surtout à comprendre certaines subtilités du cyclisme de compétition comme la gestion de ses énergies ou de l’effort. Combien de fois me suis-je retrouvé lors de sorties avec quelqu’un qui me déposait sur le haut d’une bosse. D’une fois à l’autre, j’essayais toujours d’être plus intelligent et plus futé que  lui, surtout qu’ils étaient, plus souvent qu’autrement, plus forts que moi. Je me couchais le soir et je revoyais en reprise chaque moment que je me faisais décrocher par quelqu’un que je calculais capable de suivre. Je découpais ces moments-là dans ma tête en essayant de me rappeler comment je m’étais senti, quand mon corps m’avait dit ne plus être capable, même si je lui commandais de poursuivre. Il fallait que je découvre pourquoi. Avais-je trop forcé avant? Étais-je mal gearé? Trop souple? Trop dure? Aurais-je pu me camoufler mieux? Ai-je abdiqué trop tôt? Ma position sur le vélo était-elle bonne? Aurais-je pu souffrir encore 10 secondes de plus? Dans les faits, je ne crois pas que j’aie pu être capable de me poser toutes ces questions dans ce temps-là. Je n’avais pas encore assez d’expérience. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris toutes les vraies subtilités du vélo de compétition.

Ce circuit des maîtres cyclistes, qui se déroulait tous les mardis, pouvait permettre à un cycliste comme moi, qui ne détenait pas de licence de coureur émise par la Fédé, de participer jusqu’à trois courses avec une licence temporaire. Cela permettait justement à des nobody comme moi de savoir où ils en sont. Je n’avais évidemment pas l’âge des maîtres encore, mais je m’en foutais d’être classé sénior avec des ptit jeunes de vingt quelques années. Les gars avec qui je voulais rivaliser étaient les vétérans. Alors, je n’allais tout de même pas me planter en avant du pack sur la ligne de départ, juste parce que j’avais été classé dans la catégorie des plus jeunes. Quand même, pas fou le gars !

Je me suis donc inscrit à la dernière course de la saison. Nous étions comme vers la fin du mois d’août. La course se déroulait sur la Rive-Sud de Québec. Il s’agissait d’un sur route, c’est-à-dire sur un tracé que nous pouvions faire à quelques reprises, mais sur une distance beaucoup plus longue que sur un critérium, vous savez ces petits circuits de plus ou moins 1 kilo qu’on fait une quarantaine de fois!! 160 virages à 90 degrés avec des relances après chaque virage…Non merci, je ne voulais surtout pas m’embarquer dans ces bagarres. Un sur route m’effrayait déjà bin assez.

Je me souviendrai toute ma vie de cette première épreuve. Tous les gars qui se réchauffaient avant le départ. Tous rasés, bin cut avec leur petit maillot bin tight, j’étais déjà intimidé. Je ne comprenais pas pourquoi certains pouvaient s’époumoner à faire le tour du circuit ou à rouler des kilomètres et des kilomètres avant le départ. Pour ne pas avoir l’air niaiseux, je me suis mis à faire un peu la même chose, mais je ne voulais pas trop pousser non plus par crainte de gaspiller des cartouches pour la course. Mondou que j’ai rapidement compris après le départ pourquoi les gars avaient roulé si intensément avec intervalles pour monter leur pouls cardiaque presqu’au max avant la course.

Aussitôt le départ donné, les gars sont partis comme des balles, à tombeaux ouverts!! La course n’avait pas quelques mètres de complétés, que je me suis retrouvé largué par tout le monde, sauf par quelques vétérans de la classe D, vous savez les plus de 65 ans!! Le but que je m’étais fixé était de ne pas finir dernier. Heureusement, il y en avait quelques-uns dans ma mire que j’aurais aimé aller chercher, mais que je n’ai pas pu rejoindre et une couple d’autres en arrière de moi dont un, que j’ai tout fait pour le garder en arrière afin de pouvoir tenir ma promesse.

J’ai ressenti une certaine fierté lorsque j’ai traversé le fil d’arriver longtemps après les premiers sous quelques applaudissements pour me dire que je n’étais pas un lâcheux ! Mais d’un autre côté, j’étais déçu de ne pas avoir fait mieux. Seul avec moi-même, assis sur le bord de mon coffre de voiture, je revisualisais le départ et je cherchais à comprendre encore qu’est-ce que j’aurais pu faire de mieux pour ne pas me faire larguer si tôt de même. M’être réchauffé davantage? Ouvrir la machine dès le départ comme eux ont fait, quitte à péter au fret 200 mètres plus loin? Même si j’étais plus jeune qu’eux et que je m’étais entrainé tout l’été, j’ai dû admettre que je n’étais pas suffisamment prêt pour ces courses. Je m’en suis retourné chez moi seul, mon beau poliquin jaune dans le coffre, tout de même heureux d’être allé jusqu’au bout de mon projet et de ne pas avoir fini le dernier.

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(À suivre... dans une semaine)

Coach BOB la gazelle!
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Aussi un rouleur!

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Note de l'auteur

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